Des centaines de kilos de cartons, biodéchets ou autres cagettes sont produits chaque semaine sur nos marchés forains. Souvent collectés avec les ordures ménagères et incinérés, en contradiction avec la réglementation, ils pourraient pourtant être valorisés, et ce, à moindre coût pour la collectivité.
Interview d’Annick Lacout, directrice du bureau d’études AEFEL.
Q : Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux déchets des marchés ?
R : La réglementation du secteur déchet a évolué. Deux décrets en particulier impactent les marchés forains : celui portant sur les gros producteurs de biodéchets (Décret n° 2011-828 du 11 juillet 2011) et celui relatif aux 5 flux papier/carton, verre, bois, métal, plastiques (Décret n° 2016-288 du 10 mars 2016). Elles amènent à repenser complètement la gestion des déchets des marchés.
Q : Qui est concerné ? Est-ce que la réglementation touche tous les marchés ?
R : Quasiment tous les marchés sont concernés. Pour les biodéchets, un tri à la source et une valorisation spécifique doivent être mis en place dès lors que la production est de 10 tonnes par an. A partir d’une dizaine de commerçants alimentaires, ce seuil peut être atteint. Par ailleurs, tout producteur de déchet produisant plus de 1100 litres de déchets par semaine (soit l’équivalent de 2 gros bacs) est tenu de trier séparément ses papiers/cartons, verre, bois, métal et plastiques afin de les valoriser.
Q : Comment est-ce qu’une collectivité sait si ses marchés atteignent les seuils déclenchant les obligations de tri et de valorisation séparée ?
R : Le mieux, pour le savoir, c’est évidemment de peser et de caractériser les déchets lors d’une séance de marché. Lorsque ce n’est pas possible pour des raisons de coût, de délais (urgence de la mise en conformité) ou lorsqu’on cherche des solutions mutualisées pour valoriser ces déchets, il est possible de travailler à partir de ratios.
Q : Comment faire pour trouver ces ratios, s’agit-il d’études nationales ?
R : L’ADEME propose des ratios pour les biodéchets. Cependant, grâce aux actions de terrain menées sur une dizaine de marchés, nous disposons d’abaques portant sur l’ensemble des flux. Pour vous donner une idée, un marché type en Ile de France génère de l’ordre de 2 à 3 tonnes de déchets par jour. Cela peut se traduire par 350 kg de biodéchets, 500 kg de cartons et 500 kg de cagettes. Nous quantifions également les déchets des poissonneries comme la glace et le polystyrène.
Q : Le tri et la collecte séparée, cela représente un budget supplémentaire ou bien est-ce au contraire un levier pour réaliser des économies sur la gestion des déchets de marché ?
Tout d’abord, il faut relever que nos opérations « marché éco-responsable » ont démontré qu’environ 80% des déchets d’un marché sont évitables ou valorisables. Cela change complètement le point de vue et les solutions de réduction ou de gestion à apporter. Il ne s’agit plus d’évacuer des ordures ménagères et de nettoyer, mais de séparer des produits ou des matériaux en vue de les collecter séparément pour les envoyer dans les filières appropriées, moins coûteuses et même gratuites. Par exemple, nous avons pu organiser la reprise des cagettes par un Lycée agricole qui les réutiliser comme contenants de vente des produits de leur exploitation.
Mises bout à bout, les solutions que nous avons proposées conduisent à des économies de l’ordre de 40% sur le budget pré-collecte/collecte/traitement des déchets du marché.
Q : Où vont les déchets triés ?
R : Les biodéchets sont compostés ou méthanisés, les cartons vont dans un centre de recyclage. Quant aux cagettes, différentes solutions sont possibles en fonction de chaque contexte. Certaines sont réemployées chez les maraîchers locaux, d’autres servent à l’allumage des barbecues ou cheminées, ou plus simplement sont broyées pour intégrer la filière bois-énergie.
Un tri bien fait permet aussi de faciliter la redistribution des fruits et légumes encore consommables que le commerçant ne souhaite pas remballer. Ceux-ci peuvent être mis à la disposition des glaneurs, soit sur un espace commun dédié, soit au coup par coup sur chaque stand.
Q : Quels sont les principales difficultés que vous avez rencontré dans cette nouvelle gestion des déchets de marché ?
R : L’intérêt de réaliser une opération pilote telle que nous la proposons est justement de montrer qu’une autre gestion est possible, que les gains sont multiples, que les commerçants peuvent jouer le jeu, que les filières de valorisation existent.
Le principal frein, c’est la capacité de la collectivité à changer son mode de gestion, quand elles sont engagées sur le long terme dans un marché de nettoyage et de collecte. Il n’est pas toujours facile d’en sortir en cours d’exercice. C’est pourquoi la perspective d’une remise en concurrence ou d’un transfert de compétence est le bon moment pour se mettre en conformité réglementaire et trouver des solutions pour trier et valoriser ses déchets.
Q : Au-delà de la conformité réglementaire, voyez-vous d’autres opportunités autour de la question des déchets des marchés ?
R : Oui tout à fait ! S’engager dans la réduction et la valorisation des déchets du marché est un premier pas vers une logique d’économie circulaire. A partir d’un gisement relativement réduit, il est possible de tester des nouvelles filières et de réfléchir à des solutions mutualisées pour accueillir par exemple les déchets de bois.